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Chapitre 1

La 4 e rue

L’avion est arrivé à l’heure à Kennedy.

Muni de mon bagage à main, je me dirige vers « les taxis de groupe ». Je les utilise quand je ne suis pas trop pressé ; il y a parfois des gens sympathiques ; en les déposant devant chez eux on découvre la ville, et de plus, c’est économique !!

Nous descendons vers le sud de Manhattan. Jean habite 94 East, 4 e rue. Je vais découvrir le sud de Manhattan, j’appelle découvrir VI VRE 4 jours dans un foyer américain.

Jean est devant la porte et me tend les bras ; nous nous connaissons depuis l’école maternelle. Après la fac, il a trouvé un bon job qui l’a ancré aux États Unis.  Nous ne nous sommes pas vus depuis 15 ans.

L’ascenseur nous emmène au 10 e étage d’un joli petit immeuble. Il me présente son ami Peter, souriant, très accueillant !

Il est 5pm pour moi -heure européenne ; mais nous décidons de manger un bout dans la 2e avenue afin que je puisse me reposer ensuite.

Peter est charmant je suis très à l’aise avec lui et je suis si heureux de me trouver avec eux que j’en oublie parfois les raisons de mon voyage !  Je suis là pour affaires !

Le lendemain je confirme mon rendez-vous ; mon partenaire m’attendra dans son bureau, 34e rue. Nous prenons un rapide breakfast et au moment de partir, Jean, gêné, me dit qu’il doit rentrer à Tampa le jour même. Je suis époustouflé : « rien de grave ??  Tu dois vraiment partir ?? ” 

Jean bafouillant, me dit qu’il a un rendez-vous, qu’il a son billet, qu’il ne peut le changer…

“Pourquoi ne pas me l’avoir dit, je serais allé à l’hôtel comme d’habitude !”

 Alors il m’explique qu’il n’a pas voulu annuler son invitation, que Peter était ravi que nous soyons ensemble et que j’étais chez moi. Je me hâte à mon rendez-vous…

Je risque de déranger Peter…Jean a toujours été un peu farfelu mais son attitude me met mal à l’aise…

De retour dans la 4e rue vers 17 h je redécouvre un quartier calme, des gens souriants, des asiatiques nombreux qui présentent des produits aguichants…

J’achète des produits différents, appétissants que je pourrai partager avec Peter.

Il rentre tard, grignote et me propose de voir des ‘replays’.

Avant d’entrer dans le bureau de Jean -ma chambre- je demande ce que représentent ces beaux fusains qui décorent les murs.

Il est tout heureux de m’expliquer que sa famille est venue avec la vague d’immigration allemande au milieu du XIXe siècle et que ses ancêtres ont croqué différents aspects de leur vie journalière. Je ne connaissais guère l’histoire de cette vague d’immigration et Peter me montre plusieurs gros albums de leur histoire qu’il m’exposera quand je voudrais… Le rendez-vous est pris.

Après mon deuxième rendez-vous 34e rue, je passe la soirée avec Peter qui me raconte l’histoire de ces arrivants allemands : ils se sont lancés dans l’immobilier ils ont investi des quartiers entiers, ils ont fait construire également. Ils n’acceptaient pas les noirs ; les juifs pouvaient louer un logement mais pas l’acheter…

Peter m’explique qu’il a hérité de la fortune de sa famille puisque son dernier cousin est décédé ; c’est pourquoi il a cet appartement à New York où il vient passer l’été pour jouir des spectacles car il est passionné de théâtre…

Jean appréhende ce mois à New York et il appréhendait mon séjour, alors que tous deux s’étaient bien mis d’accord….

J’ai beaucoup discuté des États-Unis avec Peter et il m’a appris beaucoup de choses sur le “Melting Pot” que l’on ne lit pas dans les livres.

 Le lendemain, avant mon départ je décide de me rendre au ” Porto Rico “, où je me sens si bien, afin de savourer ce que j’avais tellement apprécié ; un bagel grillé avec du cream-cheese et du saumon…

Je viens de me rechausser et c’est muni de ma petite valise que je m’installe en salle d’embarquement.

Je revois la 4 e rue, « mon » coffee house, le « Porto Rico », les bagels…je pense à Peter et à ses « contes » …

Haut-parleurs : ” Embarquement pour Londres…”

Chapitre 2

Je n’aime pas choisir.

  Je n’ai jamais aimé faire un choix : salé ou sucré ? Mer ou montagne ? Théâtre ou cinéma ? Je n’ai pas de préférence et j’apprécie tout ce que m’offre la vie, avec grand plaisir : le salé ET le sucré, la mer ET la montagne, le théâtre ET le cinéma. 

  Et quand les circonstances de la vie ont fait qu’une seule possibilité ne pouvait qu’être retenue entre deux options, je les ai laissées prendre l’initiative à ma place…Je ne pense pas que cela soit du à de la paresse ou à de la nonchalance, non, j’aurai l’immodestie de dire qu’il s’agit plutôt d’un art de vivre.

  Assez curieusement, dans mon activité professionnelle, je suis, non seulement, capable de choix, mais mes prises de position sont souvent judicieuses : elles ont permis ma réussite. Cette ambivalence est possible car dans le travail, je ne suis pas ” moi “. J’enfile le costume théâtral de la pièce que je suis contraint de jouer, et, à fond dans mon personnage d’acteur, je me demande ce qu’il ferait à ma place, et non, ce que moi, je dois faire à la mienne…Et ça marche ! Et très bien même !

  Je n’aime pas choisir.

  J’aime les filles et les garçons me plaisent aussi. 

  Une des périodes les plus agréables de mon existence s’est située quand j’étais en fac. Le week-end dans la ville où j’avais vécu toute mon adolescence et ma scolarité, je passais des samedis et des dimanches dans les bras d’une jolie fille et, souvent la nuit, nous nous consolions tous les deux et de la meilleure façon qui soit, de nos existences laborieuses. Elle, au sens propre du terme, ouvrière à l’usine, et moi, au sens figuré, parce qu’à cette époque, je n’avais pas encore découvert tout l’intérêt du cursus que j’avais entamé. Pendant la semaine, isolé sur un campus universitaire, je n’étais pas insensible au charme et à l’humour d’un garçon de mon année et nous compensions tous les deux par nos sens éblouis par la nouveauté des instants partagés, l’âpreté de nos études. 

  Une fille pour le week-end, un garçon dans la semaine, je croquais à pleines dents dans ces deux fruits délicieux et j’en partageais avec gourmandise, tous les bénéfices….

  A un moment donné de l’année, je suis tombé gravement malade et les deux m’ont fait la surprise d’aller me voir à l’hôpital. Le hasard a voulu que ce soit le même jour. Sans se douter l’un comme l’autre, des sentiments qui m’animaient, ils se sont consolés de mon absence et ils sont aujourd’hui mariés et parents de deux enfants…

  La nature avait choisi à ma place et j’en suis encore très content. Je n’aurai pas été capable de construire, par moi – même, un tel scénario. 

  Je repense à tout cela dans l’avion qui me ramène à Londres, parce que je repense à Jean et surtout à Peter.

  Peter me rappelle ce garçon qui m’a aidé, de la plus belle manière qui soit, à traverser ma première année de fac, sans déprimer. Il a dans le regard, le même mélange de pudeur et d’arrogance, le même sourire timide et enjôleur, les mêmes yeux doux et coquins à la fois. Je ne sais pas exactement quel type de relation il entretient avec Jean. Il ne m’a rien dit à ce sujet et je ne lui ai pas posé de question. Il m’a beaucoup parlé de sa famille, comme s’il voulait se cacher derrière ses aïeux, peut-être aussi parce qu’il était gêné de mener une existence facile d’héritier fortuné et qu’il voulait s’approprier les difficultés que ses ancêtres ont affrontées, comme si elles étaient encore celles qu’il devait surmonter aujourd’hui. Ce ne doit pas être aisé de ne rien faire quand vous vivez grâce à ceux qui ont fait tant de sacrifices pour que vous en soyez là. 

  Et Jean ? Cela faisait quinze ans qu’on ne s’était pas vus et au moment où je renoue le contact, il part subitement pour la Floride. Peut-être craignait-il d’avoir tellement changé que nous n’ayons pas grand-chose à nous dire ? Peut-être a-t-il honte ? Mais de quoi ? De la vie qu’il mène avec Peter ? Mais alors, il lui aurait été plus simple de décliner ma proposition de nous revoir. 

  Je ne pense pas que je reprendrai contact avec lui à l’occasion de mon prochain séjour à New York. Peter, j’en suis moins sûr…Et puis, un garçon qui est passionné par le théâtre, est forcément un type intéressant !

  Le genou de la jeune femme qui est assise à côté de moi, vient interrompre mes réflexions. Ses excuses gênées, le rose qui monte sur ses pommettes et un je-ne-sais-quoi dans son accent, me la rendent immédiatement sympathique. 

  Après quelques phrases banales, de cette banalité issue d’une ” bonne ” éducation qui vous oblige à accepter des préliminaires de langage sans intérêt, elle ose la première me poser une question qui me désarçonne :

  ” A quoi pensiez-vous tout à l’heure en souriant ? Vous n’aviez pas le sourire qu’on présente quand on se remémore une histoire drôle ou un mot d’enfant, ce n’était pas non plus le sourire du temps passé, quand la bouche pense l’esquisser, mais que les yeux, empreints de nostalgie, l’effacent aussitôt, non, c’était un beau sourire. Et comme, ” en tout bien tout honneur “, nous avons quelques heures à passer tous les deux côte à côte dans cet espace clos que constitue l’habitacle de cet avion, je suis bien curieuse de savoir à quoi il correspond ? “

  Je pense botter en touche en répondant qu’ elle ne sait pas à quoi elle s’ engage, que je n’ ai rien signé qui l’ assure de mes bonnes intentions et qu’ elle ne sait pas si j’ agirais ” en tout bien tout honneur “…mais je me ravise aussitôt parce qu’ elle a dans le regard une profondeur qui m’ invite à lui répondre franchement, ce qui fait que nous sommes maintenant en train de discuter tous les deux, comme le ferait un couple d’ amis de longue date, ou pire, un couple tout court ! Et pourquoi pire ? Eh oui, je me surprends à penser que cette jeune femme — je n’ai pas songé à la nommer par ” cette fille “, c’est déjà révélateur — mérite plus qu’une conversation au-dessus de l’Atlantique.

  Vous est – il déjà arrivé de parler avec des personnes que vous voyez pour la première fois, comme si vous les connaissiez depuis longtemps ? Eh bien c’est ce qui est en train de m’arriver avec….

    – Quel est votre prénom ?

    – Margaret,

    – Et vous ?

    – Jean François. 

  Est-ce que nous continuons à parler librement parce qu’elle sait que notre rencontre est sans lendemain ou y – a – t – il entre nous une espèce de magnétisme qui nous attire l’un vers l’autre ? Je n’en sais rien et pour vous l’avouer, je m’en moque complètement ! Je profite des instants de grâce que je suis en train de vivre auprès d’elle. C’est bon, c’est si bon…J’ai déjà presque’ envie de la tutoyer. Elle est belle, son sourire est franc. Elle tient des propos qui me touchent au plus profond de moi. On dirait qu’elle sait déjà ce que je ressens, où sont mes angoisses, mes plaisirs, mes désirs, mes grands doutes, mes petites certitudes….

  En l’espace de trois jours, je vis deux rencontres d’une grande richesse, de celles qui ” peut – être “, non je crois ” sans doute ” vont marquer la suite de mon existence.

  Peter ? Margaret ? Ou bien les deux ensembles comme au début de ma vie d’adulte ?

  Je vous l’ai dit : je n’aime pas choisir……

Chapitre 3

Les portes coulissantes se refermèrent derrière nos deux corps engourdis et tout autour de nous l’air avait l’odeur de l’endroit que l’on connaît par cœur. Je me tenais en face d’une femme flamboyante et pourtant un malaise s’immisça imperceptiblement. Il envahit lentement l’espace avant de s’infiltrer discrètement par tous les pores de ma peau en remontant sournoisement jusqu’au cœur battant effrayé par l’intrus.

S’attaquant à chaque membre, chaque muscle, chaque parcelle de mon corps, le malaise était maintenant partout, mutant en milles petites fourmis qui me parcouraient de haut en bas. La vision se troubla, Margaret aussi. Mes paupières devenues incontrôlables refusèrent de se fermer et n’obéissaient qu’à leurs lois en restant désespérément ouvertes. Les yeux à vifs se mirent à me brûler et bientôt de grosses larmes coulèrent sur mes joues. Margaret avait disparu et maintenant c’est Jade qui me regardait. La même, inchangée, qui se tenait aussi droite que lorsque je l’avais rencontré. Ce jour-là il pleuvait à torrent et tout le monde s’était réfugié dans le bar d’Annie. Un grand costaud avait payé sa tournée et tout le monde avait sauté de joie sauf elle qui était restée assise, imperturbable, et entourée par ses copains d’usine. Une reine, la mienne, qui venait me hanter jusqu’au tarmac d’Heathrow. 

Le corps de Margaret et le visage de Jade se sont approchés assez près de moi pour que je sente son souffle, celui du sel de la mer. Tout doucement elles se sont penchées à mon oreille et Jade m’a susurré une phrase que je n’ai pas comprise et m’a regardé encore une fois avant de s’éloigner. Instantanément les fourmis ont pris la fuite et les paupières ont fini par se rendre, laissant ainsi se reposer mes yeux meurtris.

En les rouvrant, Margaret se tenait en face de moi, paniquée et sans ressource ;

« Jean-François ! Eh oh ! Jean-François tu m’entends ? t’es là ? Est-ce qu’il faut que j’appelle quelqu’un ? »

Je lui fis signe que non, la rassurai et une fois remis de mes émotions, lui proposai que nous échangions nos numéros. Elle accepta et nota tout de suite le sien dans le creux de ma main avant de courir vers le premier black cab.

Sur le trajet du retour, je ne pus m’empêcher de ressasser cette hallucination qui m’avait semblé si vraie, titillant chacun de mes sens comme si Jade s’était réellement tenue là juste en face de moi. Perdu ainsi dans mes pensées une voix gutturale, celle du chauffeur,  me sortit subitement de cette étrange torpeur. «Arrived» m’avait-il baragouiné en indiquant de son gros doigt le prix affiché au compteur. Une fois payé, il redémarra en trombe et me laissa devant l’entrée miteuse de l’immeuble miteux dans lequel j’avais mon miteux appartement.

En entrant je reconnus immédiatement cette odeur horripilante de vieille moquette poussiéreuse qui embaumait le salon qui me servait de chambre.

Pourquoi Londres…? Voilà ce que je me demandais de plus en plus souvent lorsque je listais tous les inconvénients de cette ville sale, nauséabonde, chère et grouillante… mais peut-être était-ce justement pour tout ça, pour la masse anonyme qui effaçait notre être et son néant en nous plongeant dans un monde compact et indivisible.

Ou peut-être était-ce pour rencontrer des gens comme Margaret … mais c’était bien le seul avantage de cette ville; son peuple, ses gens.

Je pensai que Jade aurait pu être anglaise – peau diaphane, regard clair, cheveux noirs de geai. Pas gothique mais esthétiquement froide et élégante comme elle l’était dix ans auparavant.

Je ne l’avais jamais revue depuis ma maladie et tout ce qui s’en était suivi mais j’avais entendu dire qu’elle s’était installée quelque part en Floride. Décidément pensais-je, le monde entier part s’installer aux Etats-Unis.

Mon accès de nostalgie fut interrompu par le son d’un message. C’était Jean qui me demandait si j’étais bien rentré. Par politesse (je le sentais) il me remerciait aussi d’être passé le voir et espérait que je revienne bientôt.

Je lus six fois son message, sans vraiment savoir pourquoi. J’espérais peut-être qu’à la septième lecture notre gêne mutuelle s’éclaircirait, mais il n’en fut rien.

Alors je composai son numéro new-yorkais et laissai sonner quelques secondes avant d’entendre le cliquetis de l’appel qu’on se résigne  à prendre ;

 – « Hello ! Alors bien rentré ? » demanda-t-il d’une voix fausse.

Je lui répondis que oui, que j’étais bien rentré mais que ce n’était pas pour ça que je l’appelais et que j’avais besoin de savoir, au risque de paraître intrusif, ce qu’il était parti foutre dans une ville comme Tampa.

J’entendis d’abord son souffle dépité et hésitant puis celui qui se donne du courage pour annoncer une mauvaise nouvelle ;

– « Je pensais que tu savais….mais quand je t’ai parlé de Tampa j’ai compris que non…c’est là-bas que Jade et lui habitaient depuis des années… Si j’y suis allé c’est parce qu’il me l’a demandé….pour les dix ans de sa mort…Jean-François… Jade est morte il y a tout juste dix ans.»

Je crus mourir sur le champ.

Je lui dis que je le rappellerais plus tard et dégobilla mon dernier repas sur la moquette déjà puante. Au même instant on sonna à la porte.

« Une minute » criai-je « one minute please i’m coming » et j’essuyai du plus vite que je pus mon énorme galette qui trônait fièrement dans le living room. Je me rinçai la bouche, séchai mon front suant et me dirigeai, les jambes flageolantes, jusqu’à l’entrée.
Sur le pas de la porte se tenait un homme de physionomie assez semblable à la mienne mais vêtu d’un complet marron tout aussi anachronique que le lorgnon coincé sur son nez. Son allure générale dénotait tellement qu’il me fallut cligner par deux fois des yeux pour m’assurer que mon esprit ne me jouait pas des tours. Pendant tout ce temps là, l’étranger n’avait pas cessé une seconde de me fixer d’un regard neutre avec un sourire digne de Mona Lisa, puis d’un seul coup, il me tendit sa main gantée et s’approcha d’un pas en se présentant ;

– « Mr Peterson… Sam Peterson – enquêteur de faits étranges. » et il ajouta ; « excusez l’heure mais je ne pouvais pas faire autrement. Lorsqu’on m’appelle, je viens. »

– « Moi ? C’est moi qui vous aurais appelé ? » demandai-je.

– « Bon écoutez nous verrons ces détails plus tard, et maintenant si vous le voulez bien j’aimerais pouvoir entrer car j’ai certaines choses à vous raconter et certaines questions à vous poser. »

Sans me laisser le temps de lui répondre, il rentra, déposa redingote, gants et chaussures à l’entrée puis s’installa confortablement dans le sofa où j’eus le temps de l’apercevoir renifler discrètement mon odeur de vomi avant que je le rejoigne dans le salon.

– « Avant de commencer, auriez-vous des chaussons à me prêter ? Car je déteste me retrouver pieds nus. »

N’étant plus à une bizarrerie près, j’allai chercher mes chaussons et les déposai à ses pieds.

– « Merci mon vieil ami. »

Chapitre 4

Il devait y avoir du jet lag dans tout ça. Vieil ami ? Au moins, il n’était pas compliqué sur le scotch. Il l’aimait exactement comme moi, on the rocks. Je pris soin de servir deux verres avec glace sans mettre aucun liquide en contact avec ma main gauche.

De retour dans le salon, je lui servis son whisky sur une petite table à côté de l’accoudoir. Il n’avait même pas à décoller son dos du fond du sofa pour attraper sa boisson. Juste besoin d’une translation latérale du coude pour se saisir du verre, puis ensuite d’une petite rotation du poignet afin d’inciter le breuvage à filer droit dans sa gorge.

«  C’est le moment que je préfère dans mon travail. » dit Sam Peterson après avoir avalé sa première gorgée. Je vis qu’il avait déjà enfilé mes pantoufles – 44 ça lui allait parfaitement – et je me demandai s’il m’était raisonnable d’accompagner mon convive sur la boisson tant le tableau que j’avais en face de moi était de nature à me faire reconsidérer la véracité des dernières heures écoulées. Notamment cette terrible annonce de Jean. Comment pouvait-il être possible que je ne sois pas au courant de la mort de Jade ? Après dix ans ? Comment était-ce possible que David ne m’eût rien dit ? Après tout ce qu’on avait vécu à la fac, Jade, David et moi ?

« Vous allez la rappeler ? » Sam me fit sursauter dans mes propres pensées et dut s’apercevoir que ma bouche n’était pas tellement prête à répondre.

– « Vous allez la rappeler ? » répéta-t-il.

– « Pardon, qui ? »

– « La femme que vous venez de rencontrer. »

Je commençai à me demander quel tour était-il en train de me jouer.

– « Si vous ne comptiez pas la rappeler, vous vous seriez sans doute déjà laver les mains » poursuivit-il, examinant ma paume gauche un peu moite. Il faudra que je la rappelle avant que tous les chiffres ne bavent trop, me dis-je.

– « Je sais pas, peut-être. Mais pardon de vous reposer la question, mais qui vous a dit de venir chez moi ? Je me souviendrais si je vous avais appelé ? »

– « Peu importe, vous aimez trop les détails » répondit-il.

– « Non, je crois pas que ce soit du détail de savoir de la part de qui vous vous permettez de débarquer chez moi à cette heure là ! »

– « Peut-être Jean ? David ? Peter ? Pourquoi toujours choisir un responsable? Margaret?» glissa-t-il malicieusement. Comment pouvait-il connaître tous ces gens. Il y avait moins de 3 jours que je connaissais Peter, et moins de 24h que je pensais à Margaret.

« Cela fait dix ans que David n’arrive pas à faire le deuil de Jade » continua-t-il plus sérieusement. Les frissons me reprirent. Jade était donc bien réellement morte. Je bus une gorgée de scotch.

«  La police de Tampa a arrêté l’enquête il y a plus de quatre ans ». Ma nuque se raidit. « David continue seul à chercher qui a bien pu faire ça ». Ma gorge se serrai. « Je reprends l’enquête calmement afin de trouver le meurtrier » conclut-il. C’était absolument impossible ! Jade assassiné ! Pourquoi David ne m’avait-t-il pas demandé de l’aide depuis toutes ces années ? Et maintenant il demandait à Jean de le rejoindre à Tampa ? Il appelait un détective ? Pourquoi me gardait-on dans le secret ? Pensaient-ils tous que j’étais incapable d’encaisser le meurtre de Jade ? Peut-être était-ce vrai finalement, dès que mon cerveau eut visualisé le mot meurtre, mon poignet actionna une bonne rasade de whisky, qui eût définitivement raison de moi.

Quand j’ouvris les yeux le lendemain matin, j’étais dans mon lit, à l’étage. Je posai doucement les pieds à terre et ne sentis que la moquette. Je tâtai un peu aux alentours. Rien. Je dévalais les escaliers, courus dans le salon et vis au sol près du sofa ma paire de pantoufles. Les deux verres de scotch étaient là, le mien pas tout à fait terminé. Je ne me souvenais plus du départ de Sam Peterson, ni d’être monté me coucher. Je me dirigeai vers la cuisine pour me rincer le visage à l’eau froide. Je vis les numéros baver de plus en plus dans ma paume et décidai d’appeler Margaret. Après tout, je ne resterais pas éternellement sans me laver les mains.

Je visitai mon appartement de long en large, téléphone à l’oreille, peut-être cent pas en long, cent pas en large. Puis je composai le numéro de Margaret. Cela sonnait. A la huitième sonnerie, elle répondit au moment exact où mon soixante dix-huitième pas en large vint trébucher sur un vieux carton qui n’avait visiblement rien à faire au beau milieu du salon. J’en fis tomber mon téléphone qui glissa à quelque mètres de moi.

« Allo ? Allo ? » entendis-je au loin. Mais mon regard était désormais perdu dans ce carton. Il n’y avait pourtant que deux choses dedans. Une vielle lettre que David m’avait visiblement écrite il y a dix ans pour m’annoncer la mort de Jade, et une collection de romans policiers pour enfant, que je dévorais lorsque j’étais petit, avec la célèbre enquêtrice, la délicieuse Pam Seterson. A quoi mon cerveau était-il en train de jouer ?

« Allo ?? Jean-François ? Allo ?? »

Lorsque que j’ouvris les yeux pour la deuxième fois de la journée, ce fut à l’hôpital. J’aperçus le médecin qui m’expliqua que j’avais fait un malaise vagal.

« Rien de grave, un peu de repos et ça devrait aller mieux. » J’avais envie de lui dire que rien n’irait mieux, que tout était confus, que c’était le brouillard absolu depuis ces dernières heures. Vertige, douleur, fatigue. Je n’eu pas la force de lui faire part de toutes mes folies et me dis que ce devait simplement être le malaise vagal qui couvait depuis mon retour à Londres. Lorsque le médecin s’éclipsa, je découvris Margaret qui était au fond de la chambre. La seule chose dont je pouvais être à peu près sûr à cet instant, c’était que j’avais bel et bien rencontré Margaret. Le reste serait à confirmer.

« Vous m’avez fait une de ces peurs ! » dit Margaret en s’approchant de mon lit. Avant même que les muscles de ma mâchoire ne puissent entrer en action pour produire une réponse, le téléphone de ma chambre sonna. C’était Peter. Alors que je regardais tendrement Margaret, j’avais dans le même temps Peter qui me parlait de sa voix douce à l’oreille. Quelle madeleine ! C’était troublant ! C’était comme retrouver David la semaine et Jade le week-end. Comme si le week-end chevauchait un jour de semaine, comme un pont, comme une trêve; un vendredi entre chien et loup, en somme, où je pourrais avoir, ensemble dans mon lit, Jade et David.

Mais très vite Peter me fouetta de sa voix qui s’était faite un tout petit peu plus perçante et me demanda si j’avais eu des nouvelles de Jean, qui n’était à priori toujours pas rentrer de Tampa.

– « Je l’ai eu hier au téléphone, tout allait bien et c’était son numéro à New York ! » dis-je surpris.

– « Vous êtes sûr ? Il n’est pas rentré et personne ne sait où il est » m’expliqua Peter, légèrement tracassé.

J’étais étrangement rassuré d’imaginer que le coup de fil passé la veille à Jean puisse ne pas avoir existé, et à la fois tétanisé de pouvoir aussi facilement me perdre dans les méandres de mon imagination.

« TOC, TOC, TOC !!! » fit Sam Peterson, tout en frappant réellement à la porte.

« Dites moi à chaque fois que j’arrive, vous vomissez ou faites des malaises vagaux, je vais finir par le prendre mal ! » Peterson avait le chic de faire des entrées fracassantes.

« Jean-François ! Je nous ai pris deux billets pour la Floride, en business, c’est la boite qui paye ! Bon c’est pas pour aller voir Mickey, hein. Jean a disparu… Et s’il vous plait, ne recommencez pas à me demander comment ou par qui je sais tout ça, c’est mon métier tout de même, vous allez me vexer ! »

Chapitre 5

CHAPITRE 5

Moi qui n’ai jamais raffolé des voyages en avion, me voilà servi ces derniers temps… J’ai toujours trouvé cela totalement irrationnel de poser son cul dans plusieurs tonnes d’alliage d’aluminium, cuivre et zinc pour parcourir des milliers de kilomètres au royaume des nuages (tiens d’ailleurs, on dirait un banabulus, signe que l’on arrive enfin en zone tropicale, Floride, me voilà !). Bien que je doive avouer que la business class me ferait presque changer d’avis. Qu’est -ce qu’on s’est mis avec Sam Peterson ! Je ne suis pas sûr que ce soit très recommandé avec mes malaises à répétition de ces derniers temps mais tant pis. Il faudra d’ailleurs qu’une fois rentré à Londres je prenne rendez-vous avec mon médecin, par crainte que cette sournoise maladie ne soit de retour… Mais à force de le faire boire j’avais enfin réussi à lui arracher quelques vers du nez, au Peterson. Parce que tous ces mystères, là, ça commençait à me rendre complètement parano. Au bout du 3ème scotch Peterson me lâchait que, comme je m’en doutais maintenant, c’était David qui l’avait embauché pour l’aider à enquêter sur le meurtre de Jade. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’il connaisse Jean et Peter. En revanche, j’avais beau me triturer les méninges, son allusion à Margaret le jour de notre rencontre continuait de me laisser sans explication. Mais alors que j’abordai la question quelque part au-dessus de l’Atlantique, Peterson m’avait fait cette réponse plus qu’énigmatique : « Ça n’est pas à moi de vous l’apprendre, mais à vous de me l’expliquer. » Nous avions déjà éclusé pas mal de verres de scotch, et l’hôtesse, sans se départir de son sourire « business class » nous servait de moins en moins de liquide accompagné de plus en plus de glace. J’avais fait le choix de laisser ce mystère de côté pour l’instant, et de me concentrer sur les jours à venir. Il voulait jouer, et bien soit, jouons ! Quant au carton qui trônait dans mon salon, il venait bien entendu de Peterson himself. « J’ai choisi mon nom d’enquêteur en référence à ces ouvrages que je dévorais quand j’étais enfant, m’expliqua-t-il. Et cette lettre de David, si vous ne l’avez jamais reçue il y a 10 ans c’est qu’il ne l’a jamais envoyée. Il me l’a remise à Tampa quand il m’a embauché et demandé de venir vous rendre visite à Londres, pour vous fournir une preuve que lui et moi nous connaissions, et que ce que je vous annonçais, au milieu des odeurs de vomi de votre salon, était la triste vérité. Mais je n’ai pas eu le temps d’en arriver là ce premier soir, vous supportez si mal l’alcool que j’avais été obligé de vous mettre au lit au bout du 5ème scotch ! »

Le vol m’avait permis d’apprendre les détails du drame. Jade était donc décédée dix années plus tôt, le 19 décembre, dans la maison qu’elle partageait avec David. Ce jour-là, ce dernier était rentré un peu plus tard que d’habitude. Après son ultime cours d’avant les vacances de Noël -David était professeur d’histoire naturelle à l’Université de Tampa- il avait reçu une étudiante, Megan, qui voulait ses conseils pour un devoir qu’il leur avait demandé de faire à la maison. Leur entrevue s’était prolongée jusqu’en début de soirée et c’est à son retour, vers 21h, que David avait trouvé la porte de leur maison ouverte. Jade était allongée sur le canapé de leur salon, il crut d’abord qu’elle s’était endormie en l’attendant. C’est en s’approchant qu’il avait noté les fines marques rouges sur son cou. Strangulation. Son meurtrier l’avait ainsi tuée puis allongée sur le canapé. Et était reparti sans rien prendre de valeur dans la maison. Les enfants, couchés dans la chambre qu’ils partageaient au bout du couloir, dormaient paisiblement quand David avait déboulé, paniqué, à leur chevet. Depuis, David cherchait qui avait tué sa femme, mais aussi pourquoi.

Et désormais, depuis 24h, tout le monde recherchait également Jean, qui semblait s’être envolé lui aussi. Peterson m’expliqua (verre de scotch numéro 6 pour lui, 4 pour moi) que Jean avait fait renvoyer tous les appels du fixe sur son portable, c’est pour cela que si c’était bien le numéro de New-York que j’avais appelé, c’était en fait depuis son cellulaire qu’il m’avait répondu quand nous nous étions parlé à mon retour des Etats-Unis. Il n’était jamais monté dans le vol censé le ramener de Tampa à New York, les registres d’American Airlines étaient formels là-dessus. Mais que fabriquait-il donc ! Pourquoi avoir voulu prolonger son séjour en Floride, sans le dire à Peter ? Il se doutait bien que ce dernier s’inquiéterait de ne pas le voir revenir ! Lui était-il arrivé quelque chose ? C’est plongé dans ces réflexions que je sentis les roues de l’avion toucher le tarmac. Je réveillais Peterson qui s’était octroyé un petit somme et nous voilà partis pour le quartier de St Petersburg, où vivait David depuis 14 ans.

Il n’avait pas tellement changé. Toujours cette allure athlétique, il devait continuer à faire du sport. A ses cheveux noirs se mêlaient désormais quelques filaments gris, notamment sur les tempes, lui procurant juste encore un peu plus de classe qu’il n’en avait à l’époque. Seuls ses yeux avaient perdu leur éclat malicieux. Ah, que j’en avais passé du temps, plongé dans ces yeux ! De le retrouver ainsi, plus de 15 ans après notre dernière entrevue, me fit chavirer. Un nouveau vertige. Je me rattrapai au bras de Peterson. « Ah non, c’est fini, hein, reprenez-vous mon vieux, vous n’allez pas encore tourner de l’œil ! » 

La maison, de plein pied, était modeste en son intérieur mais devait valoir une fortune de par la vue inestimable qu’elle offrait sur la baie de Tampa. C’était donc ici que mes deux anciens amants avaient coulé des jours heureux les quelques années qui leur avait été données de vivre ensemble. Que la vie avait dû être douce. Je les imaginais seuls d’abord, puis avec leur premier enfant, une fille, Jenny, et enfin leur second, Justin. Mais ce bonheur n’avait pas duré, les enfants devaient être bien jeunes quand Jade était morte… Je réalisais que je ne savais en fait rien de cet homme, de la vie qu’il avait menée toutes ces années. De la détresse qui a dû être la sienne, souvent. Des moments de bonheur qui, tout de même, ont probablement parsemé sa vie, grâce à Jenny et Justin. Ils se tenaient d’ailleurs là, tous deux, debout dans le salon tandis que leur père nous les présentait. Jenny, du haut de ses 13 ans affichait déjà une allure sensuelle. Elle allait en faire craquer des cœurs, celle-là ! Justin, quant à lui, 11 ans à peine, semblait ne pas vouloir sortir de l’enfance. Entrainé depuis son plus jeune âge par son père au football américain, il avait une stature de sportif. Mais sa bouille toute ronde le rajeunissait, on lui donnait 10 ans à peine.

De douces effluves s’échappaient de la cuisine et j’allais m’en étonner à haute voix quand David nous présenta Mariana, pulpeuse quinquagénaire mexicaine au sourire rieur. « Mariana vit avec nous depuis le drame, dévoila David. A l’époque elle s’occupait de faire le ménage à la maison et elle m’a offert de s’installer avec nous pour s’occuper des enfants, des bébés à l’époque. Je remercie le seigneur chaque jour de nous l’avoir envoyée. Aujourd’hui Jenny et Justin la considèrent tous deux comme leur maman. » Très belle femme que cette Mariana… Elle n’avait pas la classe de Margaret mais je me surpris à m’imaginer en sueur à la chevaucher passionnément… Revoilà que mon cœur s’emballait à quelques minutes d’écart à la fois pour un homme, David, et une femme, Mariana.

Une fois les enfants couchés, David revint plus en détails sur la visite de Jean (il les avait accompagnés à une petite cérémonie en l’honneur de Jade à la St Petersburg Community Church et était reparti le lendemain à l’aube, il avait passé en tout et pour tout 37 heures en leur compagnie). David lui non plus n’avait aucune idée d’où il pouvait bien se trouver. Peterson lui posa par la suite de nouvelles questions sur la nuit du drame. C’était d’ailleurs la véritable raison de sa présence à Tampa, la disparition de Jean ne semblait que très peu l’intéresser. « Vous m’avez déclaré, la première fois que nous nous sommes vus, quand vous m’avez engagé, que le tueur était parti sans rien emporter avec lui de valeur. Cela signifie-t-il que quelque chose avait tout de même disparu ? » « Une seule chose, mais je ne l’avais même pas déclaré à a police à l’époque étant donné le peu d’importance que cela a. Le tueur a détaché un poster qui était au mur du salon à l’époque, au dessus du canapé où était allongée ma Jade, et l’a, semble t-il, emmené avec lui car impossible de remettre la main dessus. » Après que David lui ait appris que ce poster était une représentation du bar d’Annie, celui-là même où Jade et moi nous étions rencontrés, Peterson pris congé et parti se coucher. Bien que tombant de sommeil moi aussi, je luttais pour profiter quelques minutes encore de David, mais cette fois-ci en tête à tête.

  • Tu sais David, je pense qu’il est grand temps que tu fasses le deuil de Jade… Voire même que tu passes à autre chose… De te morfondre ne la ramènera pas à la vie et cette enquête pour retrouver son meurtrier dix ans après les faits… Si tu veux mon avis… ça va te coûter une fortune pour aucun résultat. Ce Peterson il est sympa mais je doute de ses compétences…
  • Tu ne comprends pas… Si je n’arrive pas à passer à autre chose c’est parce que c’est de ma faute si Jade est morte !
  • Que veux-tu dire par là ? Tu l’as tuée ? Pourquoi alors cette mascarade d’enquête ?
  • Quoi ? Mais non, t’es dingue ! Tu me crois capable d’une chose pareille ?
  • Mais alors pourquoi te sentir coupable ?
  • Parce que ce soir là je suis rentré affreusement tard. Si j’avais été à la maison, avec ma femme et mes enfants, rien ne serait arrivé.
  • Mais enfin, David, tu travaillais ! C’est d’ailleurs grâce à ton métier que Jade pouvait se permettre de ne pas avoir à gagner sa vie, elle, et se consacrer à sa passion, la musique. Ça ne sert à rien de te flageller pour quelque chose dont tu n’es pas responsable, voyons !
  • Non Jean-François, tu te trompes. La version officielle veut que j’étais en rendez-vous avec une étudiante dans mon bureau de l’Université. Mais ça n’est pas ce qui s’est passé ce soir-là… Et plus je jongle avec toutes les pièces du puzzle, plus j’en arrive à la conclusion que si on a tué Jade, c’est pour me faire payer ma bêtise… »

Il allait me falloir un ou deux verres de scotch pour entendre la suite…

Chapitre 6

Je regarde David qui semble être devenu un autre. Un autre plus vieux, plus fatigué. Je le sens comme au bord du gouffre, prêt à se lancer, prêt à me dire quelque chose de tellement important, de tellement difficile qu’il renonce, se referme, relève la tête, décide à nouveau de se lancer, sa lèvre supérieure est prise d’un infime tremblement, il renonce encore…

Il tient son verre comme l’on tient la corde qui nous sauve de la chute fatale ; il y plonge son regard dans le désir insensé d’y trouver une autre vérité dicible.

Il commence « Jean-François, tu sais… » mais il cale une fois de plus. Je me lève, fais le tour de la table basse et je m’assois à coté de lui. Je lui prends la main. Une décharge électrique semble me parcourir, un émoi érotique tellement déplacé à cet instant que j’en éprouve de la honte.

Je le regarde, il me regarde. Nous lisons chacun dans les yeux de l’autre un désir coupable. Nous avons dû faire chacun sans nous en rendre compte une partie du chemin, nous partageant la responsabilité de cet élan, nous nous embrassons avec violence, férocement, désespérément.

L’étreinte est brève, à peine achevée, je me lève « Je vais me coucher, c’est plus sage, à demain David ».

Lorsque j’ouvre les yeux il me faut quelques secondes pour savoir où je suis. Chez David et Jade.

Jade ouvre la porte de la chambre « Debout coco ! t’as vu l’heure ! » Elle est nue, splendide. Ses petits seins fermes et sa touffe luxuriante sont une sublime apparition dans l’entrebâillement lumineux de la porte.

Mais Jade est morte il y a dix ans et la porte est fermée. La volonté et le désir puissant ne suffisent pas à créer un nouveau réel.

Je songe à ce baiser délirant de tout à l’heure… J’en éprouve presque du dégout. Et puis que voulait donc me dire David ? Il semblait porter sur ses épaules une honte immense.

Je me lève, autant aller pisser puisque je suis réveillé… Il n’est pas de petit plaisir.

Dans le couloir sombre je distingue la porte ouverte à moitié de la chambre de Peterson. Un ronflement puissant s’en échappe. Alors que poussé par un besoin irrépressible je rentre dans la chambre, le ronflement cesse tout d’un coup. Je m’immobilise. Que suis-je en train de faire ? Peterson, à ce moment de ma réflexion, lâche un énorme pet et se remet à ronfler. Je fais encore trois pas dans la chambre et m’empare de la pochette de cuir brun posée sur une chaise. Je ressors prestement dans le fracas de la respiration troublée de Sam.

Une fois revenu dans ma chambre, le cœur battant, la sueur perlant sur mes tempes de trouillard avéré, j’ouvre la pochette.

Dans une enveloppe de kraft brun, soigneusement pliés, deux articles découpés, l’un dans la Tampa Tribune, l’autre dans le Tampa Bay Times. Le premier relate la découverte par son mari d’une femme assassinée chez elle. Son époux l’a retrouvée étranglée alors qu’il rentrait fort tard. Rien n’a été dérobé.

Le deuxième me trouble au plus haut point…

« Après avoir été interrogé longuement par la police, le mari de la victime est inculpé par le procureur, Gordon Sylicard. Le procureur nous a déclaré que la fragilité de l’alibi du suspect justifie cette décision, il a été toutefois libéré sous caution. »

La suite de l’article rappelle la découverte du corps par David, son alibi, une étudiante, et l’absence de vol.  J’apprends que l’heure de la mort de Jade se situe dans une fourchette d’une à deux heures avant l’arrivée de la police. Enfin, que l’arme du crime est une ceinture appartenant à David.

Alors que je m’apprête à poursuivre mon exploration de la pochette, la porte de ma chambre est ouverte violement. David se tient dans son encadrement, un verre à la main. Il crie « Jade ! Pardon ! » et s’effondre.

Le cri et le bruit de la chute réveille la maison toute entière. Mariana apparait, ébouriffée, suivie de Jenny et Justin.

Sam Peterson, seulement vêtu d’un slip kangourou blanc, répète comme un automate « allons, allons, on se calme !»

Prestement je tente de cacher la pochette dérobée, mais rien n’échappe à l’œil sagace de Peterson. Il me fixe des yeux et d’un signe de la main m’ordonne de lui rendre son bien. « On en reparlera ! »

Mariana est maintenant penchée au-dessus de David qui revient à lui lentement. Il murmure « j’ai tué Jade, j’ai tué Jade ! »

Peterson me regarde et me fait signe de le suivre dans sa chambre.

Il range soigneusement la pochette de cuir dans sa valise.

« Qu’avez-vous découvert dans mes affaires ? »

Je lui parle des deux articles de presse.

« Vous savez donc que David a été suspecté… Mais sachez, cher ami, qu’aucune suspicion d’aucune sorte ne peut encore exister. La culpabilité de David est la conséquence de son aventure avec son étudiante Megan. C’était la première fois, l’unique fois qu’il trompait son épouse, et lorsqu’il rentre, honteux de sa faiblesse, elle est morte ! »

Je comprends alors pourquoi il fût incapable de m’informer, de me parler à cette époque. Et depuis, il semble que la culpabilité ne l’a jamais quitté.

Sam Peterson me propose de descendre au salon pour « s’en envoyer quelques-uns… » et enfile un pantalon et un teeshirt.

Je le suis comme un automate, sans volonté propre. Alors que nous descendons l’escalier, il s’arrête et se retournant vers moi « il faut que vous m’expliquiez ce que vous faisiez aux Etats-Unis cette semaine-là ! »

Mariana a reconduit les enfants jusque dans leurs chambres. Du haut de l’escalier elle nous lance que David est plus calme et qu’elle va se coucher.

Sam Peterson me fixe et j’ai l’impression que son regard accusateur m’enfonce littéralement dans le cuir du fauteuil club.

Il prend une gorgée d’alcool, fait claquer sa langue avec son palais, regarde les reflets dorés de son verre.

« Je vous écoute » dit-il.

« Comment savez-vous ? »

« C’est mon métier de savoir ! »

Je me lance. « J’avais été présomptueux de penser pouvoir oublier Jade et David. Je ne sais pas pourquoi mais j’avais le sentiment qu’il me suffirait de revenir pour reprendre David. Alors que Jade… »

Peterson me fixe, il attend la suite…

Je répète, « … Alors que Jade… »

« Vous étiez jaloux ? »

Il ne comprend décidément rien ! Jaloux est un mot qui n’a aucun sens pour moi. Je tenais à eux et la relation qu’ils avaient construite était pour moi un merveilleux adjuvant… si je n’avais pas été exclu. Je me lance dans une hasardeuse et vaine explication.

« Je vois, pourtant vous parliez de récupérer David et Jade… Fallait-il que vous supprimiez l’un pour récupérer l’autre, que vous supprimiez Jade, à vos yeux perdue à jamais, pour avoir David ? »

Une bouffée de colère me submerge et je ne peux retenir un « connard ».

Il ne bronche pas et reste dans sa logique, « En fait je ne sais pas si vous êtes venu jusqu’à Tampa… Êtes-vous venu en Floride ? »

Je me lève, me sers une bonne rasade d’alcool que je bois d’un trait et sans un mot ni un regard je monte me coucher.

L’alcool m’assomme, je m’endors.

Je tends la main, saisis mon téléphone, l’écran s’allume, 7h12. Je n’ai plus sommeil sans pour autant me sentir reposé. Au loin siffle une bouilloire et mon esprit fabrique une odeur de café et de toasts grillés. Une douche presque froide me sort totalement des limbes et je descends déjeuner.

David est assis au bout de la table de la cuisine, il a la mine affreuse des junkies en manque. Peterson tourne sa cuillère dans son mug, l’esprit vagabond. Mariana en robe de chambre légère me montre à chaque mouvement de bras la courbe de son sein gauche. Je lance un « hello ! ». Mariana est accorte, Sam indifférent et David ailleurs.

Nous déjeunons en silence et lorsque Peterson se lève et quitte la cuisine, je me lève à mon tour, le rattrape dans le couloir et saisissant son bras « Non Sam, je ne suis pas venu à Tampa, je suis resté à New York où Jean devait me rejoindre. »

Le détective me regarde, visiblement il attend la suite…

Je ne poursuis pas.

« Et ? » insiste-t-il.

« Et bien, ce fût comme aujourd’hui, Jean avait disparu… J’ai appelé cent fois, tant Jean que David et Jade mais personne ne répondait. »

« Et ? » insiste-t-il.

Je baisse les yeux, il est pieds nus.

« Sam, je croyais que vous ne supportiez pas de n’avoir pas de pantoufles ! »

« Et ? » insiste-t-il.

« Et je suis allé au Porto Rico abuser d’alcool. J’ai passé la nuit avec… je ne sais même plus si c’était une fille ou un mec, et le matin je suis rentré à Paris chez ma sœur. »

« Vraiment ? »

« Vraiment ! Et vous, comment connaissez-vous Margaret ? »

Il éclate de rire, « c’est à vous de me le dire ! », il rit maintenant à gorge déployée.

« Peterson, avez-vous enquêté sur l’étudiante, comment s’appelle-t-elle ? »

Sam arrête de rire et plonge son regard dans le mien, « Elle s’appelle Megan et non, je n’ai pas creusé dans cette direction… »

« Pourquoi ? »

Peterson regarde ses pieds, « Vous avez raison je déteste être pieds nus ! »

Il s’éloigne en direction de sa chambre et la main sur la poignée il se retourne vers moi.

« Cette Megan, ça lui fait quoi aujourd’hui, trente, trente-cinq ans… Demandons à David s’il se souvient de son nom de famille ! »

Chapitre 7

Chapitre 7

Je dis à Sam que je le rejoins dans cinq minutes, le temps d’enfiler des vêtements. Une conversation de ce genre ça ne se fait pas en slip tout de même. Après m’être changé, alors que je me dirige vers l’escalier je décide d’aller faire un tour dans la chambre de David. Je me dis que cette manie de s’introduire dans une pièce si intime doit cesser, parce qu’un jour ça finira vraiment mal.

Je pousse discrètement la porte et rentre dans la pièce. Elle donne côté sud et est baignée de lumière. Mon regard fait le tour de la chambre et s’arrête sur un cadre poussiéreux posé sur la commode. Je m’avance pour le voir de plus près et le prends dans la main. C’est une photo de Jade avec ses deux enfants. Elle est rayonnante.

« Monsieur ? » Je me retourne avec surprise, une petite tête frisée est penchée sur la porte, c’est Jenny « Vous faites quoi ? » Elle sourit d’un air espiègle.

« Je regarde une photo de ta maman. C’était une…amie à moi »

Elle passe sa langue dans le trou où sa dent est tombée « Le petit déjeuner est prêt, vous venez ? »

« J’arrive ».

Elle part en courant et je l’entends dévaler les escaliers. Je repose le cadre et en sortant marche sur un bout d’acier. Je rejette l’objet sur le côté, c’est une boucle de ceinture.

En arrivant dans la cuisine Mariana et David chuchotent entre eux, ce dernier a sa main posée sur son coude. Quand il me remarque il s’éloigne brusquement, l’air gêné. Mariana part dans le salon en m’esquissant un sourire.

«  Bonjour, t’as passé une bonne nuit ? »

« Bof, le scotch a pas aidé »

« Désolé pour hier mais toute cette histoire, ressasser ces mauvais souvenirs c’est difficile pour moi »

«  Je comprends mais c’est toi qui a engagé Peterson et si tu nous donnes pas plus d’informations on…. »

A ce moment le détective entre dans la pièce un verre de scotch à la main. Je regarde l’horloge 8h45. Je ne serais jamais à sa hauteur.

«  David j’aimerais vous parler de cette Megan, il faudrait que je l’interroge malheureusement les seules infos que j’ai sur elle ne sont plus valables, il semble qu’elle ait déménagé après les faits sans laisser de traces. Pourriez-vous nous renseigner sur son nom de famille et si vous le savez sa nouvelle adresse peut être ? »

David s’assoit, fixe la table, des perles de sueur lui coulent sur le front. Il est à peine 9h mais il fait déjà une chaleur étouffante.

«  Elle s’appelle Megan Greenwood, je ne sais pas exactement où elle vit mais un ancien élève avec qui j’ai gardé des contacts m’a dit qu’elle était partie pour Miami. Elle n’a jamais répondu à mes appels après… » Il ne finit pas sa phrase, sort une cigarette d’une main tremblante et l’allume.

Sam, lui, termine son verre d’une traite, regarde sa montre et empoigne sa pochette qu’il avait posée à ses pieds « Bon j’ai rendez-vous avec une personne qui je pense pourra nous aider dans l’enquête. A plus tard ».

Je me retrouve seul une fois de plus avec mon ami. Je vais m’asseoir à côté de lui, lui caresse la main, il la retire. «  David, il faut absolument que tu me racontes ce qu’il s’est réellement passé ce soir-là »

«  Viens on va dehors au bord de la piscine, j’ai besoin de prendre l’air »

Nous traversons le salon, passons la baie vitrée qui donne sur une immense terrasse avec une piscine à débordement qui a vue sur la baie. Les enfants jouent sur une balançoire un peu plus bas. Ce serait un endroit idyllique, dans d’autres circonstances. Nous nous asseyons sur des transats au bord de l’eau, Mariana est en train de faire des longueurs, elle arrive de notre côté, se hisse au bord de la piscine ses seins rebondissant gracieusement et s’assoit, dos à nous.

Je ne peux éloigner mon regard de ses cheveux, de son dos, de ses fesses.

«  J.F » David me ramène à lui, il sourit. « Elle est belle hein… Je ne m’en saurais pas sorti sans Mariana ». Il soupire, me fixe du regard, un regard sérieux et profond qu’il n’avait pas eu jusque-là. « Ecoute je ne t’ai pas tout dit ni à toi ni à Sam. » Il hésite. « Ce soir-là j’avais bien rendez-vous avec Megan, on s’est vu à l’hôtel, on a fait l’amour et alors qu’on se reposait j’ai senti une présence à la fenêtre. Au début je me suis dit que je devais rêver et je n’ai pas fait plus attention. Mais quelques secondes plus tard j’ai vu cette fois un visage. Je ne voulais pas y croire mais j’étais certain que c’était le visage de Jean. J’ai couru dehors et aperçu une silhouette sombre se jeter dans une voiture et partir en trombe. Je suis resté quelques instants sur le pas de la porte quand Megan m’a rappelé à l’intérieur. Je lui ai dit qu’on devait partir et je suis rentré à la maison. » Il se tait et fixe l’horizon.

Je ne sais pas quoi répondre, le soleil est brûlant, au zénith, il me tape sur la tête. J’ai l’impression d’être coincé dans un feu infernal. Mes pensées s’embrouillent. Je n’arrive pas à y voir clair, ma vision se trouble. Mariana se lève, me fait un clin d’œil et part en direction de la maison. Je veux me lever mais retombe aussitôt sur ma chaise.

« Tu devrais te reposer J.F, tu as passé une mauvaise nuit et ça fait beaucoup à avaler ». David m’allonge sur le transat, ouvre le parasol et je m’endors aussitôt.

Une main à la peau douce vient me caresser le visage. Je sens un baiser sur le front, je connais ses lèvres, je les ai embrassées tellement de fois. Et ce parfum aux notes d’agrumes. Reste encore un peu. Mais Jade part et je suis réveillé brutalement par un verre d’eau dans la figure.

«  Allez debout ! » Sam se tient devant moi, deux verres de scotch à la main, il m’en tend un « Buvez ça, ça ira mieux ».

Je me relève difficilement, regarde mon verre me demandant si c’est une bonne idée. Je vois alors les bottes de Peterson à travers le liquide ambré

«  Jolies santiags détective » 

«  Il y avait des soldes j’ai craqué, c’est un peu un rêve de gosse. Mais assez bavardé, allons au salon nous rapprocher du bar ».

A peine le temps de m’installer dans le canapé et d’avaler une gorgée que Sam se resserre à boire et il ne m’oublie pas non plus. J’approche le verre de mes lèvres puis le retire.

« J’ai de nouveaux éléments pour l’enquête » Je me tourne vers lui, il est impassible et attend, les jambes croisées, la main qui tient le verre pendant par-dessus l’accoudoir. « David ne nous a pas tout dit sur la fameuse soirée, il croit avoir vu Jean à l’hôtel où il était avec Megan »

Peterson ne bronche pas, mes révélations ont l’air de ne lui faire aucun effet. Il caresse ses chaussures avec sa main, boit une gorgée et me regarde « Je sais tout ça. La personne que j’ai vue aujourd’hui n’était autre que Megan Greenwood. Je l’ai contacté avant de partir de Londres, je voulais…. »

Il n’a pas le temps de finir sa phrase car je lui coupe sèchement la parole : « Quoi ? Mais pourquoi avoir demandé à David des informations sur elles alors ?! Et pourquoi ne m’avoir rien dit ?! C’est quoi ce travail d’amateur on perd du temps ! J’en peux plus d’attendre, j’ai trop attendu, je n’ai pas agi il y a dix ans, j’ai perdu et David et Jade ! J’ai plus rien ! Rien !». Je me rends compte que j’ai bondi du canapé et me suis rapproché de Sam. Il se lève, je fais un pas de recul mais il continue d’avancer jusqu’à ce que nous soyons nez à nez.

« Ecoutez-moi bien, votre ami David est louche, il nous cache des choses et j’ai besoin de vous et de votre relation pour lui soutirer des informations. Ce matin je voulais m’assurer qu’il ne me racontait pas de bobards. Il y a beaucoup trop d’inconnues dans notre équation, aujourd’hui nous avons pas mal avancés mais c’est pas le moment de flancher ».

Il se recule sans me quitter du regard, boit cul sec le reste de son verre, se resserre et se rassoit dans le fauteuil.

« Si vous avez aimé ou aimez encore Jade, vous vous devez de m’aider à éclaircir ce mystère et vous ressaisir mon vieux ! »

Je finis mon verre, hésite puis le remplit de nouveau. Il faut que je me calme les nerfs.

«  Je pense qu’il faut aussi fouiller du côté de Mariana, je trouve son comportement étrange. Elle et David ont sûrement une relation ».

Sam s’apprête à me répondre quand la sonnerie de mon téléphone retentit « God save the queen… ». Je sors l’appareil de ma poche arrière et en découvrant le nom qui apparaît à l’écran je reste bouche bée. Le détective me fait sursauter : «  Répondez voyons ! ».

«  C’est Jean »

Chapitre 8

« Jef ?

– Quoi ? »

Il rit de ma réponse irritée. C’est un réflexe. Je déteste qu’on m’appelle « Jef » comme dans « non, Jef, t’es pas tout seul ». J’adore Brel mais je le déteste quand il raconte des personnages qui me ressemblent. C’est une des innombrables choses que je n’ai dites qu’à Jean, et il l’a très bien compris. Il ne m’a plus jamais appelé comme ça depuis. Il avait des tas d’autres noms : « Biquet », « JFK »,  « François-Jean » ou simplement « François ».

« Putain mais t’es où nom de Dieu ? Tout le monde te cherche !

– Du calme, Jef…

– Arrête de m’appeler comme ça ! Qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qui t’arrive ? C’est quoi ces conneries ? »

Le verre à la main, Sam me regarde, l’air interrogatif mais néanmoins supérieur. Il commence à me courir sur le haricot ce mec avec sa carrure d’athlète, sa mâchoire carrée, son sourire de monsieur « je sais tout et rien ne me surprend jamais». Si j’avais quinze ans de moins, si j’avais fait du sport plutôt que de m’enfermer dans l’obscurité des bibliothèques et des boîtes de nuit, si j’avais autre chose dans les veines que du whisky et du sang de navet, je lui foutrais mon poing sur la gueule. Il le sent et ça le fait marrer encore plus. J’avale un grande gorgée de Scotch pour faire passer.

« Jef, c’est pas des conneries, continue Jean d’un ton faussement geignard,

– Te fous pas de ma gueule ! Tu me trimballes dans tous les sens, tu me fais venir à New York, t’es pas là, tu…

– Tu t’es bien amusé avec Peter ?

– Qu‘est-ce que ça peut te foutre ? C’est toi qui m’a jeté dans ses bras et maintenant t’es jaloux, c’est ça ? T’aurais voulu mater ? Comme avec David et Megan ? »

Touché.

Pour faire une omelette, il faut casser des œufs et là, il y a un blanc dans le téléphone et le sourire de Peterson a viré au jaune. Pendant que je me tape une autre gorgée, Sam fait un geste pour me prendre le téléphone, je m’écarte pour continuer à remuer mes gros pieds dans le plat.

« Alors, mon Jean, ça te la coupe, hein ?

– Jef, t’es vraiment le roi des cons… 

– Pourquoi tu m’as rien dit ? Salaud ! Pourquoi tu m’as pas dit qu’elle était morte, espèce de fumier ? Tu voulais…»

Et là j’entends un choc, comme si son téléphone était tombé, puis des voix d’hommes qui donnent des ordres, un bruit de lutte, un klaxon de camion, un hurlement lointain puis un rugissement qui va crescendo et couvre tous les autres sons. Sam s’est approché de moi, pour me prendre ce putain de téléphone. Je l’arrête d’un geste et je mets le haut-parleur. il s’approche tellement que je sens son haleine d’homme chargée de whisky… Y’a pas à dire, une odeur d’homme c’est quelque chose tout de même. On écoute tous les deux le rugissement qui sature totalement le micro puis s’atténue, diminue, s’éloigne.

« Un avion » dit Sam.

Le son s’éloigne jusqu’à devenir fin comme un fil, le bruit d’un très lointain déchirement.

« Un avion de guerre » il ajoute. Putain qu’est-ce qu’il en sait ? Il va pas me sortir le modèle, l’année de sortie et le numéro série, non plus…  Il commence à me les gonfler ce type.

Mariana entre dans le salon, un aspirateur à la main, menaçant de nous brouiller l’écoute. Nous lui faisons signe de s’abstenir momentanément. Flegmatique elle nous tourne le dos pour tapoter sans bruit les coussins du sofa.

Dans le téléphone, le silence enveloppe petit à petit la monstruosité sonore qui s’estompe. Nous l’écoutons longtemps après qu’il est devenu incontestable et absolu, dans l’espoir d’entendre quelque chose, n’importe quoi, un chant d’oiseau, le cri d’un enfant, le balancier d’une pendule, un coup de canon, n’importe quel signe de vie. Après un temps infini, un bruit de moteur qui s’approche et de nouveau un klaxon de camion, un de ceux qui ressemblent aux sirènes de paquebots, un gros accord de grandes orgues sous amphétamines plaqué par de gros doigts d’assassin. Il passe comme toute à l’heure, pas très loin et avec un fort effet Doppler. Le vacarme d’un gros camion qui roule très vite sur une route toute droite, un « truck » comme ils disent, énorme et bariolé, la cabine entourée d’une multitude de projecteurs et de trompettes argentées, avec un routier en maillot de corps, mal rasé, tatoué et une pin-up dans sa cabine.

Songeur, je me demande s’il est arrivé à Mariana de poser nue et ce qu’elle dirait si je lui demandais de le faire pour moi.

L’avion, le truck, le routier et la pin-up ont disparu depuis longtemps, mais le téléphone continue à nous dire le silence.

Pour tapoter au plus près, Mariana s’est penchée et je ne vois plus d’elle que sa croupe dont l’ondulation enthousiaste a certainement d’occultes vertus ménagères.

« Qu’est-ce qu’il a dit ? chuchote Sam, de peur de manquer le cri d’un coyote ou le rot d’une chauve-souris s’il s’en produisait un.

– Hein ? sursauté-je, sorti de ma contemplation. Heu, pas grand-chose, je réponds de la même voix basse, de peur que mes propos soient captés par le popotin de Mariana. Car qui suis-je pour affirmer que les culs, surtout les beaux, ne sont pas pourvus de pouvoirs ultra sensoriels ? Et d’ailleurs, celui-là me semble parcouru de frémissement comme on en voit aux chevaux de course. J’en ai contemplé un nombre suffisant pour me faire à l’idée que…

– Où est-ce qu’il est ?

– Ah, mais je sais pas, moi ! Fichez-moi la paix…

– Pourquoi vous ne l’avez pas laissé parler ?

– Parce que… »

J’hésite à lui faire part de ma phobie du surnom « Jef ». Pourquoi je lui ferais confiance à cet empêcheur de méditer en rond, finalement ? C’est un truc que je n’ai dit qu’à Jean. Pour noyer le poisson, j’esquive, je dis à Sam que Jean n’a pas eu le temps de parler, que son téléphone est tombé et puis les voix d’hommes, les bruits de lutte, le hurlement…

« Combien d’hommes ?

– Trois, un blond, un chauve qui mangeait du chewing-gum et un roux avec un tatouage sur la bite.

– Hein ?

– Mais comment voulez-vous que je sache combien ils étaient ?

– Oh, du calme ! Je cherche juste à comprendre.

– Ah ? Parce que d’un coup, Monsieur n’a plus toutes les solutions ?

– Mais je n’ai jamais prétendu…

– C’est ça, foutez-vous de ma gueule ! Depuis le début vous jouez à celui qui habite dans ma tête, qui connais toutes mes pensées et qui sais tout ce que je vais dire avant moi, le Deus ex machina qui essaie de m’enfumer avec ses tours de prestidigitateur minable ! Et vas-y que je te balade avec des fantômes du passé ! Et vas-y que je te la joue beau ténébreux plein de mystère avec mes trucs de représentant de commerce ! Mais qu’est-ce que vous êtes, au fond ? L’Arsène Lupin du pauvre ? Un Sherlock Homes de banlieue ? Miss Marple en charentaises ? Rouletabille à la petite semaine ? Ou juste un mythomane qui fait picoler les autres pour jouer à touche-pipi avec leurs histoires ? »

Il me regarde avec ce petit sourire qui me donne envie de lui faire manger ses dents, pendant que Mariana continue son sémaphore callipyge ; alors je continue.

« Vous savez ce que je crois, Sam ? » Il ne répond pas. « Je crois que vous êtes un pauvre type, un raté, un malade qui n’a pas grandi depuis qu’il a lu ces putains de bouquins pour gamins un peu crétins, et que vous avez sauté dans l’histoire, que vous vous prenez pour un détective sans en être un. Vous vous la jouez et vous avez compris que vous pouviez le faire croire aux gens qui sont si cons, si crédules et si paranoïaques… »

Bon, y’a pas à dire, c’est un plaisir toujours renouvelé que de démolir un beau mec en présence d’un jolie fille et on dira ce qu’on voudra, mais Mariana est une jolie fille. De là où je suis je ne peux qu’imaginer son visage, la courbe de ses lèvres, le feu de ses yeux et toutes ces choses, mais ce que je vois d’elle penchée sur les coussins qu’elle arrange pour qu’on s’y puisse ébattre à son aise, augure suffisamment du reste. Je me demande si David se la tape.

« Et sinon, elle a un beau cul, Mégan ? »

Sam, me regarde, interloqué. Assez content de déstabiliser ce bunker de testostérone, je continue  sur ma lancée. « Non, parce qu’en France, elles sont pas terribles. Je veux dire le cul. Ça leur fait comme des bourrelets sur les côtés, un peu comme ces nanas qui ont décidé qu’on doit les aimer comme elles sont. Surtout les modèles à cinq portes. Elles font trop « famille », trop « chèvre et chou » pas assez fines pour être sexy et pas assez opulentes pour être sensuelles… Mais bon, elles sont pratiques, y’a pas de doute. »

Il y a un drôle de truc dans le regard de Sam quand il me dit

« Vous n’auriez jamais dû arrêter votre traitement. 

– Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ? C’est encore un de vos trucs, là. Je ne marche pas ! et d’ailleurs je suis tout à fait guéri ! La preuve !»

Je me lève et je me dirige d’autorité vers les fesses de Mariana.

« Non, Jef ! » crie Sam et ma main au lieu de caresser s’abat avec une telle vigueur sur l’objet de mon désir qu’il me semble bien l’avoir fendu en deux. L’énergie ainsi transmise se transforme en une belle et souple érection du corps de Mariana doublé d’un mouvement de rotation qui gagne son bras au bout duquel sa main ouverte décrit dans l’air un arc aussi parfait qu’un swing de Tiger Wood et viens percuter ma face avec la puissance d’une locomotive à vapeur.

La période qui suit commence à manquer d’originalité. Elle devient même mortellement ennuyeuse parce que je rêve et que je sais que je rêve. Alors je participe et je mets en scène. Je ne sais plus qui a dit que la seule façon de ne pas s’ennuyer au théâtre, c’était d’en faire, mais je dois dire que celui-là n’avait pas tort. Évidemment je revois Jade mais comme je sais qu’elle est morte et que tout ça n’est qu’une « fantasy » comme disent les américains, j’en profite pour lui faire et lui demander des trucs que je n’aurais jamais osé dans la vraie vie ni dans un rêve sincère. Je dois dire que je ne ’en sors pas si mal. Tout le monde y passe, Jade évidemment, mais aussi David, Mariana, Peter, Annie, Jean, le routier, sa pin-up et même le pilote de l’avion de chasse. L’uniforme m’a toujours fait tripper. Je suis sur le point de m’occuper de Margaret et Megan quand Justin pointe son nez. Je le renvoie dans sa chambre avec menace de mon pied au derrière mais ça m’ennuie tout de même qu’un petit garçon se pointe au beau milieu d’un rêve érotique alors je me réveille à titre préventif.

« Vous en avez pas marre de surgir là où on ne vous attend plus du tout ?» je demande à Margaret qui me regarde gentiment. Comme elle ne répond pas, je me dis que je rêve encore et que finalement, je ne contrôle pas tout. J’essaye de retourner en arrière parce qu’il y a des tas de trucs que je n’ai encore jamais faits avec elle et que justement, j’ai du temps et de l’imagination. Mais penses-tu ! Rien ne va jamais comme on veut dans la vie. On me réveille pile au moment où j’allais… mais ça ne vous regarde pas.

Mariana en blouse d’infirmière, me regarde avec un air désolé.

« Je suis désolée », dit-elle prouvant par là que la possession d’un cul de rêve ne donne pas l’instinct de la répartie originale ni le sens de la marche de l’histoire. Je réponds que ce n’est pas grave, que nous sommes bien peu de choses et qu’en somme je ne sais pas de quoi elle parle mais que ce n’est pas grave parce que, bigre, comme ça tombe, nous voilà tous les deux à pied d’œuvre et que dès que j’aurai surmonté cette légère contrariété, je me ferai fort de lui démontrer la vigueur de mes sentiments. Je résume cela au maximum dans « Grumpf… » mais je sens qu’elle a compris le sens général parce que sa main s’avance sous le drap.

Hein ? Mais quel drap ? Je suis dans un hôpital ma parole ! Sam était en réalité le docteur Mabuse ! Au secours ! Je suis tellement paniqué que Mariana retire sa main – comme quoi, les premières intentions sont rarement les plus judicieuses…

« Si j’avais su que vous souffriez du syndrome de Gilles de la Tourette, je n’aurais pas réagi comme ça. »

Et voilà ! Tu passes ta vie a essayer de cacher tes grandes et petites misères de santé pour découvrir un beau jour que tu aurais bien meilleur temps de te balader avec ton dossier médical en bandoulière.

« Qu’auriez-vous fait, douce Mariana ?

– J’aimais mieux comme vous parliez toute à l’heure.

– Mais ne vous ai-je pas molestée ?

– Quoi ?

– Je crains de vous avoir fendu le postérieur en deux. 

– Je ne crois pas, non…

– Peut-être vaudrait-il mieux vérifier, Mariana.

– Oui… Jef, dit-elle en appuyant sur un bipper

– Quoi ? »

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, je saute sur le lit où je me démène comme un possédé en la traitant de tous les noms.

En un peu plus de temps qu’il n’en faut pour le répéter, deux mastards aux avants-bras poilus me soulèvent comme si je pesais moins qu’une tranche de jambon. Aussi c’est coquettement vêtu d’une camisole de force que je reçois plus tard les visites de Sam et David. Si Sam ressemble toujours à une publicité pour après rasage, David, lui, porte une triple trace de griffure sous le maxillaire gauche. Je fais la gueule paraît-il. Mais j’estime que c’est mon droit après tout. Le seul qui me reste maintenant que je ne peux bouger ni bras ni jambes.

Sam m’annonce qu’on n’a pas retrouvé Jean mais que son portable a continué d’émettre pendant douze heures, qu’on entendait seulement passer quelques camions, un chien qui aboyait au loin et trois décollages de chasseurs à réaction.

Moi, je ne dis rien. Quand on est atteint du syndrome de Gilles de La Tourette, il faut apprendre à fermer sa gueule.

Chapitre 9

« llegada del vuelo UT96 desde Tampa « *  hurle le  haut parleur nasillard de l’aéroport d’Aguascalientes (Centre du Mexique)

Sam me précède sur la minuscule passerelle , que nous descendons prudemment ; j’ai la tête qui tourne ; vraiment , ce n’est pas très sympa de me remettre dans un avion , à peine sorti de l’hôpital , et quel avion ! Je n’ai pas desserré les dents de tout le vol , et mon acolyte en a profité pour sonoriser toute la cabine de ses ronflements porcins .  

– Putain , Sam , quel coucou vous m’avez fait prendre , on est vraiment des prolos ! 

– Pas le choix , mon vieux , c’est le seul vol depuis Tampa que j’ai trouvé ! Et puis merde , il fallait faire au plus vite ! Vous nous avez assez fait perdre de temps avec vos conneries d’hôpital , de syndrome , de paranoïa , et pis quoi encore.. ?

Hep,Taxi !! « buenos dias , Vamos al l’hotela de les trojjjes « **

– Ah , ah , Sam , quelle maitrise de la langue ! 

– Faites le malin … !

– Non , non , j’admire .. , je savoure .. ! Et d’abord , on fout quoi ici … ? 

Le taxi nous emmène , nous ramène  , nous promène , nous avons l’impression que le chauffeur profite un peu de la situation , et pense que nous apprécions cette visite touristique .

– Eh , c’est loin cet hôtel ? ‘’es longa, el camino de las hotelas’’ ?  Non , mais il nous promène , le sagouin .. !

Après encore 20 minutes à tourner dans le quartier  , nous voilà enfin devant l’entrée d’un hôtel miteux .

Direction le bar , où nous commandons 2 margaritas , puis 2 autres  pour nous détendre. J’ai bien besoin de comprendre ce qui m’arrive , ce que je fais là avec l’énigmatique Sam Peterson :

– Bon , on a claqué 2000 pesos pour ce Taco , mais on a quand même réussi à savoir où se trouve le quartier Luis Ortega Douglas , et il m’a aussi promis de nous conduire du côté de l’aéroport militaire , à 20 Km à l’Ouest de la ville . Beau programme , non ?

– Ah ouais , ça me fait une belle jambe , c’est qui ce  Ortega ?

– Ah ! mais ça va pas mieux vous, faudrait p’têtre réduire un peu la dose , une rechute est vite arrivée ! Luis Ortega Douglas , c’est personne ! C’est un quartier très sympathique de cette ville , où l’on va rendre visite à une connaissance , enfin… ,  une connaissance de votre dernière ex future conquête .

– Sam , arrêter un peu de jouer au con avec moi , ça commence à bien faire, vos charades …

– Bon ! En fait , Mariana… , je lui ai délié sa belle langue pendant votre ‘’absence‘’ !

– M’ouais ! Et alors ?

– Et alors , je s’rais pas surpris qu’on apprenne des trucs chez son oncle , à ‘’Luis Ortega Douglas‘’ !

– Son oncle ?

– Ouais , elle m’a pris pour un con , m’a raconté une histoire de Street Bar dans ‘’Ortega ‘’ , tenu par son oncle  … ; mais je me suis renseigné sur lui , et tout porte à croire qu’il est impliqué dans un drôle de trafic , et elle avec !

– Oui , mais quel rapport avec notre présence ici ? Quel rapport avec Jean ?  Ah , oui ,  l’aéroport militaire … vous pensez que les bruits d’avion , ça pourrait être  ?… Mais ça pourrait  être n’importe où sur terre ! C’est quoi votre délire ?

– Ecoutez  , ‘’Jeff’’ ( putain … il m’énerve à m’appeler ‘’Jeff’’ ) , écoutez , laissez moi faire mon boulot … vous me suivez , vous fermez votre claque-muche et tout se passera bien !

– Ca va , ça va  , quel caractère de cochon !  Hep , patron , gracias , dos margaritas , bien frappadas !!

Lendemain de cuite , la tête en vrac , un train passe et repasse inlassablement sous mon crâne ! Je file du mauvais coton … Sam Peterson n’est pas beaucoup plus beau à voir que moi , il porte un chapeau bizarre d’ailleurs , pour se mêler plus facilement au peuple ? Et une étrange bosse sur le côté de son pantalon m’interpelle , mais je ferme ma bouche, bien incapable de lancer la moindre polémique .

Pablo , le chauffeur de taxi s’est pointé avec une heure de retard , une sombre histoire d’essence , plus chère , trop chère ( au black , surement ) qui s’est fini en bagarre; il a un méchant cocard sur l’œil gauche et il fait la gueule. Il a décidé qu’il n’irait pas à ‘’Ortega’’ , trop dangereux , c’est un sale quartier, géré par quelques gros bonnets et truffé de dealers, de bar louches.  Un vrai traquenard, il n’est pas question que je vous emmène là-bas !

Mais il veut bien nous conduire dans les environs de l’aéroport militaire ,il a ses entrées , on peut s’approcher un peu ;  d’ailleurs , on va longer les bâtiments principaux du camp , et les pistes d’envols qui se trouvent tout près de l’Autopista(Autoroute).

La conduite nerveuse de Pablo n’arrange pas du tout ma nausée , le détective ne fait pas le fier non plus ,j’entends des remontées bruyantes dans son œsophage. Les fumées noires , crachées par les carburateurs mal réglés des camions que l’on double sans arrêt  n’arrangent rien à notre mal être .

– Sam ,au fait, j’y pense, avez-vous parlé avec David de son addiction, de sa propension à consommer de la cocaïne depuis l’époque de la fac. ? 

– Ah, ah , ah  !  Monsieur « Jeff » se réveille , je vais peut-être le prendre pour associé un de ces jours ! Et la petite Megan , elle en prenait aussi, et de la bonne semble t’il , de la ‘’Chihuahua ‘’?

– Putain , ça y est , c’est pour ça , le Mexique ? Mais non , David semblait la connaître à peine , cette gamine ..il a bien dit qu’il n’a trompé Jade qu’une seule fois , ce fameux soir maudit … ,  

– Oui , c’est ce qu’il dit , lui ! Mais pas du tout confirmé par la petite , enfin , petite … oui, à l’époque .

 – Mais , quel rapport ? Encore une fois , vous m’embrouillez , vous insinuez un tas de choses , mais je ne vois pas où vous voulez m’entrainer ! Jean , l’aéroport militaire , vous croyez que vous allez le retrouver au coin des baraquements , là-bas , quand on aura traversé les barbelés et dézingué les 25 balèzes qui montent la garde tout autour du camp ?

– Oh , ça suffit ! Vous avez la trouille ou quoi ? C’est elle , Megan , qui m’a parlé de leur fournisseur habituel , ou plutôt ,  ‘’fournisseuse’’ … , une certaine… Mariana Carillo Leyva , à travers , ‘’ peut-être ‘’, un certain oncle basé à Aguascalientes . 

– …. ??

– Et savez vous que la guerre fait rage entre les cartels et les militaires ? Ca fait des années qu’on ne compte plus les morts ici , œil pour œil , dent pour dent , c’est la loi !…

Là , le Peterson, il m’a bluffé , je reste dans les cordes après ces diverses révélations ! Mariana ne serait pas arrivée par hasard dans la vie de David alors ? Et cette Megan, pas si innocente que ça ,une relation de plus longue date , et qui partageait plus que le lit adultère avec David ;  mais que foutait Jean au milieu de tout ça ? 

– Bon , Pablo , on fait quoi là ? Prenez donc la prochaine sortie de l’autopista , on va s’approcher des premiers bâtiments ;  au fait , vous m’avez bien assuré que vous pouviez au moins passer les premiers barrages ?

Le taxi s’engage dans le sortie  , fait quelques dizaines de mètres le long d’une très longue rangée de poteaux reliés par des rouleaux de barbelés .

– Ecoutez , ‘’Jeff’’ , vous entendez les camions là ? Toutes les 2,5 secondes , comme dans le téléphone de Jean ! Et l’avion qui décolle , c’est bien un Tupolev Tu-22M , on ne peut pas me tromper sur ce sujet ! Si , Senior Jeff , on se rapproche du but ! 

*Arrivée du vol UT96 en provenance de Tampa

** Bonjour , Nous allons à l’hôtel ‘’ Les Trojes ‘’

Chapitre 10

La route goudronnée s’est muée progressivement en piste caillouteuse ; le taxi soulève un nuage de poussière et il faut toute l’expérience de Pablo pour ne pas s’égarer d’un côté ou de l’autre dans une sorte de no man’s land épineux. Il stoppe net son Toyota devant une barrière abaissée:

« C’est le dernier poste de contrôle ; je m’arrête là. Je n’ai jamais pu aller plus loin, secret militaire ! Adios, vous continuerez en jeep. »
Effectivement, une jeep, capote et pare-brise abaissés, nous attend, un militaire casqué au volant ; Peterson très à l’aise avec ses santiags et son chapeau démesuré s’assoit à ses côtés. Je monte à l’arrière très inconfortablement installé sur une banquette défoncée ; j’ai l’impression qu’une voiture nous suit de loin. C’est dans cet équipage improbable que l’on nous conduit jusqu’à un baraquement planté là, au milieu de nulle part.

« Vous êtes arrivés : c’est le Quartier Général du Commandant Périer ; il dirige la base. »

Périer… Périer ? le sang me monte à la tête; Jean ! C’est Jean ! Jean Périer bien sûr! A la maternelle, on l’appelait « Périer menthe » !

-Sam ! Vous saviez ! Vous saviez que Jean était Commandant ! Ici ! Chez les coyotes !

Sam Peterson ne répond pas, mais esquisse un sourire en coin.

– Sam, je vous déteste, et un jour, je vous ferai avaler votre foutu sombréro ridicule.

–  Entrez Mr Peterson ! Entre, Jeff ! Tu veux bien que je t’appelle Jeff, Mr Peterson est dans le secret…

Jean, en tenue militaire impeccable, nous fait asseoir dans un petit salon jouxtant un bureau truffé d’ordinateurs. Son aide de camp pose une bouteille de whisky à peine entamée sur la table basse.

– Vous pouvez disposer, Benoît.

L’ordonnance s’éclipse discrètement.

-! Qu’est-ce qu’on fout ici, vous pouvez me dire ? Je veux des explications, bon sang ! Pourquoi tant de mystère ? Tu ne m’as jamais dit, Jean, que tu étais militaire et, en plus, Commandant ! Félicitations ! Commandant de quoi d’ailleurs ? Et vous Peterson depuis quand vous connaissez l’existence de Jean? Pardon, de Môssieur le Commandant Jean Perrier ? Vous me saoulez avec vos airs de conspirateurs ! Tiens ! j’bois un coup !à la vôtre messieurs les comploteurs !

-On te doit en effet des explications, Jean-François.

Voilà qu’il m’appelle Jean-François maintenant !

– Mr Peterson a souhaité cet échange pour que nous y voyions tous un peu plus clair dans cette triste histoire de meurtre qui nous semble bien confuse. Un autre scotch pour tout le monde ? Nous avons souhaité mettre toutes les pièces du puzzle sur la table pour voir plus clair dans cet imbroglio et essayer de reconstruire l’enchaînement des faits.

Quel ton docte, maintenant ! C’est qu’il se prend au sérieux dans sa chemise kaki aux plis bien marqués! On m’avait donc pris pour un imbécile :cet espèce de scénario avec le téléphone qui tombe après un simulacre de bagarre, et le bruit des avions… Tout ça pour m’amener ici sans que je me doute de quoi que ce soit… mais pourquoi ?

– Pourquoi tant de mystère ? Je suis commandant des forces spéciales internationales qui luttent contre les cartels de drogue et suis spécialisé dans la lutte contre le trafic de cocaïne. Les gars que je traque ne sont pas des enfants de chœur et personne ne doit savoir où je me trouve. Ce qui explique mon départ précipité de New-York, soi-disant pour Tampa, ce qui t’a semblé bien désinvolte. Mr Sam Peterson et mes services menions deux enquêtes différentes mais avec les mêmes protagonistes ; nos chemins se sont croisés, David se retrouvant au cœur des deux affaires, et c’est comme cela que nous sommes entrés en contact l’un l’autre.

-Ben, oui ! David m’a chargé d’enquêter sur le meurtre de sa femme, mais j’ai vite capté qu’il était accro à la coke. Alors, j’ai contacté les services de Mr Périer ; ils étaient au courant depuis longtemps, et avaient remonté la chaîne d’approvisionnement via Morgan, Mariana et son oncle. Ils espèrent choper de gros bonnets par leur filiale.

– Je n’ai pas toujours été haut gradé, Jean-François ; j’ai fait mes classes petit détective, et il y a dix ans je surveillais David ; la nuit du meurtre je l’espionnais et le surpris dans les bras de Morgan dans une chambre d’hôtel ; je ne suis pas sûr qu’il ne m’ait pas vu d’ailleurs.

– Et, moi, Sam Peterson, le soudard, vous ai bien bousculé dans votre vie en en sachant déjà long sur vous, ce qui ne manquait pas de vous étonner. Vous êtes au centre de tout ça, mon vieux, ami de toujours de Jean, David et Jade et présent en Floride la semaine du meurtre !

-Passons, passons ! Je suis heureux de te revoir Jean-François. Parle–moi de toi : as-tu toujours tes malaises ? à la maternelle, tu ne supportais pas le temps orageux ; ton esprit devait se troubler, ton visage n’était plus le même, tu envoyais tout balader, les crayons, les pots de peinture, nos trousses d’écolier ; l’orage passé tu ne te souvenais plus de ces instants, le calme réapparaissait sur ton visage apaisé.

– en quoi ça t’intéresse ? Il m’arrive d’avoir des troubles, oui ; mais je suis suivi régulièrement.

-La semaine du meurtre, tu dois t’en souvenir Jean-François ? ça avait beau être en décembre, un cyclone, le cyclone « Margaret » était annoncé sur les côtes de Floride…

– suffit !tu sais bien qu’après quelques jours de chaleur moite, le cyclone s’était éloigné vers l’est et s’était évanoui de lui-même.

Je me ressers une bonne rasade de whisky, car tout redevient confus. Oui j’aime toujours Jade, depuis le bar d’Annie ; mon seul véritable amour ; je la revois partout, je la devine même à travers les yeux de Peter !la fais même revivre, à travers un prénom virtuel, celui d’un ouragan !

 Mais de là…, de là à… faut pas exagérer ! je crois que je vais tout faire valdinguer dans c’te baraque !

Ma vue se trouble, je vais perdre connaissance; à demi conscient, j’ai juste le temps d’apercevoir Peterson sortir un révolver de sa poche, le braquer sur la tempe de Jean et sur un ton accusateur l’entendre: « police fédérale,… poster volé… ».

Ensuite, bruits de bottes, puis plus rien.

Chapitre 11

Lorsque j’ouvre les yeux tout est blanc. Blanc-blanc ou blanc-cassé, mais blanc. Je préfère les refermer. Le noir est plus confortable. La voix est douce, l’accent léger, « Monsieur… ».

Je crois que c’est moi le « Monsieur » qu’appelle la voix douce à l’accent léger « Monsieur… », j’ouvre les yeux à nouveau. Blouse blanche, sourire généreux. Une infirmière. Mon esprit retrouvant un peu de rationalité comprend « Hôpital ? » « Oui » me dit l’infirmière.

Alors que mon esprit vagabonde quelque part entre les deux seins de la jeune fille, deux hommes à l’allure de gorilles dans un mauvais polar des années 70, entrent en demandant avec force virilité si le suspect est réveillé.

La jeune fille se précipite hors de la chambre en appelant « DOCTEUR ! DOCTEUR !»

Les molosses réduits à accepter les consignes de la faculté repartent bredouilles mais promettent d’être là à ma sortie.

Trois jours plus tard…

Ils y sont !

Il est étrange de se retrouver menotté et encadré par deux malabars, de traverser ainsi tout un hôpital, d’être installé à l’arrière d’une Ford Crown Victoria et de visiter Miami toutes sirènes hurlantes.

La traversée du hall de l’immeuble du FBI a tout d’une « walk of shame ».

Lorsque la porte de la salle de réunion s’ouvre j’aperçois, présidant l’assemblée, Sam Peterson.

« Nom de Dieu les gars, enlevez les menottes à Jeff ! Il n’est pas suspect ! »

A regret les deux mastards me libèrent et filent la queue entre les jambes (c’est une métaphore !).

« Entre Jeff ! On t’attendait pour commencer »

Je suis complétement paumé…

A droite de Sam, une jeune femme que je ne connais pas, puis David l’air toujours un peu hagard.

A gauche du détective, l’archétype d’un agent spécial du bureau fédéral. Peterson m’invite à m’assoir à côté.

De l’autre coté de la table, Jean, Megan et Mariana. Ils sont menottés tous les trois.

Jean semble indifférent, un peu comme si le cours du monde avait cessé de l’intéresser. La si jolie Megan semble perdue, effrayée. Elle tourne dans sa tête les évènements à l’origine de ce cauchemar. Enfin Mariana se tient droite, le menton haut et la poitrine insolente en forme de défi.

Je dois avouer que je n’y comprends pas grand-chose lorsque je m’assois en cherchant dans le regard de Sam un sens à tout cela.

Cet aéroport, la révélation du véritable métier de Jean, Peterson sortant son arme, puis le noir, le noir, le noir jusqu’au blanc de la chambre d’hôpital, le blanc de la blouse de mon infirmière.

Sam prend la parole. « Nous sommes au complet, Jeff, je te présente Richard Hammer du Bureau, il est spécialisé dans les affaires de stupéfiants, et l’adjointe au procureur, Mademoiselle Nice. »

Elle me sourit.

« Je continue : Lorsque le dixième anniversaire de l’assassinat de Jade est arrivé, David a ressenti le besoin irrépressible de connaître la vérité. »

Sam nous explique que David avait jusqu’alors enfoui cette tragique nuit, se refusant à y repenser. Ses enfants et son boulot occupaient tout son univers. Mariana tout à la fois gouvernante et amante veillait à cet apaisement.

« Alors David m’a contacté. J’ai tout de suite découvert que la cocaïne était son compagnon de route depuis des années et l’empressement de Mariana à me convaincre que remuer le passé était délétère pour David m’intrigua immédiatement. 

Il fallut du temps à David pour reconnaître son addiction. Il lui en fallut plus encore pour me parler franchement de la nuit fatale. De ce faux pas, de ce moment d’égarement, du charme de la jeunesse de Megan, de l’euphorie provoquée par l’alcool et la drogue… David, on t’écoute. »

David, sans lever les yeux parle d’une voix monocorde.

« A peine étais-je arrivé chez Megan pour récupérer ma commande… »

« Votre commande ? » demande l’adjointe au procureur.

« Ma commande de cocaïne. Megan était l’une des nombreux étudiants qui dealaient pour financer leurs études… »

« Mademoiselle Greenwood ? »

Megan relève la tête, comme égarée « Pardon ? »

« Mademoiselle Greenwood confirmez-vous que vous revendiez de la cocaïne sur le campus ? »

« Oui… Un peu… »

« Nous l’avions sous nos radars depuis un certain temps » précise Hammer.

Mademoiselle Nice poursuit « Et coucher avec votre client, c’était quoi ? Un bonus pour fidéliser la clientèle ? »

Megan baisse les yeux, David reprend la parole.

« Je vous en prie, restons courtois ! Je suis autant responsable que Megan de cette erreur, excuse-moi Megan, mais c’était bien une erreur… »

Megan baisse plus encore les yeux et la tête, comme pour disparaitre.

« Megan, regardez-moi ! » tonne Sam, « regardez-moi et dites-moi si vous avez vu Jean ce soir-là ? »

Megan hoche affirmativement la tête « Il était dans le jardin à nous observer… Je crois qu’il a tout vu ! »

« Vu quoi ? » demande Hammer

« Tout… Tout… Un sale voyeur ! » Elle éclate en sanglots.

L’adjointe au procureur revient à la charge « Mademoiselle Greenwood épargnez-nous vos jérémiades. Je vous rappelle que les charges qui pèsent sur vous sont lourdes, très lourdes ! »

Megan se redresse, renifle « Je le sais… »

« Alors avançons ! Pouvez-vous nous redire qui était votre fournisseur, ou plus exactement votre supérieur ? »

« Mariana… »

Je regarde Mariana à cet instant. Un fugace sourire a illuminé son visage une fraction de seconde. Elle fixe maintenant l’adjointe au procureur avec morgue.

« Mademoiselle Carillo Leyva ? Enfin… Mademoiselle ou Madame ? »

« On s’en fout, dites Madame ou Mariana ! »

« Et bien Mariana, reconnaissez-vous être la supérieure hiérarchique de Megan dans ce trafic de stupéfiants ? »

Mariana fait un signe de la tête et de la main signifiant de la sorte qu’elle n’a rien à déclarer.

Je me lève et interpelle Sam, l’adjointe au procureur et Richard Hammer « Quel rapport que tout cela avec l’assassinat de Jade ? »

Ne tenant aucun compte de mon intervention, Sam poursuit « Mariana étiez-vous au courant que Megan avait vu Jean ce soir-là ? »

Mariana reste muette mais Megan confirme « Je le lui ai dit… »

Sam me regarde « Alors Jeff, n’est-ce pas maintenant clair comme de l’eau de roche… »

Je le regarde incrédule… « Alors Jeff ? »

J’explose « Putain Sam ! Arrêtez de m’appeler Jeff ! Putain merde faut vous le dire combien de fois ! »

Peterson continue « A l’aéroport, Jean vous m’avez fait une révélation de trop, une révélation sans raison lorsque vous m’avez dit qu’à l’époque vous surveilliez David… »

Jean relève la tête incrédule…

« Pourquoi surveiller David, votre ami, alors que vous saviez déjà qu’il se fournissait chez Megan et que celle-ci était sous les ordres de Madame Carillo Leyva… »

Jean me fixe maintenant, comme paniqué…

« Vous ne surveilliez pas David ce soir-là, mais Megan ! Et pas pour votre enquête mais parce que vous étiez tombé amoureux de Megan simplement en la surveillant ! »

Des larmes roulent des yeux de Jean livide…

« Et qu’avez-vous vu ce soir-là ? »

Jean renifle bruyamment…

« Votre si chère Megan, votre amour platonique passionné s’envoyer en l’air avec David ! »

Sam boit une gorgée à même la bouteille d’eau minérale.

« AVEC DAVID ! »

Jean semble se liquéfier… »

« Avec David qui vous avait déjà pris Jean-François ! »

Jean ferme les yeux…

« Avec David qui vous avait déjà pris Jade ! »

Jean serre les poings…

« Avec David, celui qui a toujours mieux réussi que vous, à la fac, en amour…  Avec David que vous avez à cet instant haï plus que tout ! »

Jean semble se parler à lui, mais si ses lèvres bougent aucun son ne sort de sa bouche.

« Alors vous avez décidé de prendre à David ce qu’il avait de plus précieux, ses enfants… »

Jean hurle un long « Nooonnn !!!! »

« Mais une fois dans la maison vous avez vu Jade… »

Jean sanglote maintenant.

« Elle a du être surprise de vous voir chez elle. Vous a-t-elle demandé comment vous étiez entré ? Vous a-t-elle offert un verre ? Qu’a-t-elle pensé alors que vous serriez la ceinture autour de son cou ? »

Jean, dans un souffle « par pitié arrêtez ! »

« Puis le corps de Jade est devenu lourd, immensément lourd comme le devenait votre conscience. »

Jean est maintenant effondré sur la table.

« Mais pourquoi diable voler ce poster ? »

Jean relève la tête « Vous ne comprenez pas ? »

En face de notre silence Jean poursuit « Le bar d’Annie, mes plus beaux souvenirs… Et les pires aussi ! »

Sam continue, « Mariana en lisant dans la presse le compte-rendu du meurtre a vite compris que vous en saviez beaucoup… Il ne lui fallut guère de temps pour vous faire craquer et avouer votre acte fou. »

Mariana sourit…

« Elle vous a fait chanter dès lors. Loin de poursuivre son réseau vous l’avez couvert ! »

J’étais abasourdi. Comment peut-on si mal connaître un ami ?

Lorsque je pose la question à Sam il murmure « un ami ? »

Il éclate de rire « Un ami ! » Son rire devient nerveux « Un ami qui vous fait venir à New-York lorsqu’il sent le danger, un ami qui vous jette dans les bras de Peter, son compagnon, pour s’éclipser et filer à Londres pour cacher dans votre appartement le poster du bar d’Annie afin de vous faire accuser ! »

Deux flics en uniforme sont venus récupérer Jean, Megan et Mariana pour les conduire à la prison de Starke.

Richard Hammer me sert la main en me souhaitant un bon retour à Londres et sort à son tour.

Sam me regarde, il hausse les épaules comme ennuyé d’avoir remué toute cette boue. Il s’avance vers David, lui parle au creux de l’oreille. Un sourire fatigué se forme sur le visage de David qui me regarde. « A une prochaine » me dit-il en sortant, soutenu par Sam.

Je fais un signe d’adieu de la main en murmurant « à une prochaine… »

Je sais pourtant que je ne reverrai plus jamais mon ami, mon amant d’un autre temps.

L’adjointe au procureur s’approche de moi, seigneur qu’elle est belle, radieuse, lumineuse !

« Merci Mademoiselle Nice… »

Elle me fixe, plongeant ses yeux verts au plus profond de mon âme, elle me sourit.

« Appelez-moi Margaret » dit-elle.

Fin.

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